la Banlieue Rouge

Publié le par JC 25, Che Guevara, Guy Môquet,

Vers la fin des banlieues rouges ?

Marianne du 05 janvier 2008 Entre une direction du Parti communiste aux abois et des maires PCF qui la jouent perso, la Seine-Saint-Denis risque fort de virer au rose.

Les enfants de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) n’en finissaient plus de compter les minutes, les yeux braqués vers le ciel strié de tours, les mains gelées malgré le soleil d’hiver. Et puis il est arrivé, sans traîneau mais en hélicoptère : le 15 décembre dernier, le Père Noël s’est posé en plein milieu du stade Géo-André devant plus d’un millier de personnes.

Le maire communiste de la ville, Gilles Poux, qui a financé l’opération, a réussi son coup. Le soir, en rentrant chez eux, les petits des centres aérés avaient les yeux brillants. Mais, dans les couloirs de l’hôtel de ville, on ironise encore sur cette « allégorie terrible du gros bonhomme rouge qui couvre de cadeaux les fils d’ouvriers ». Et les plus caustiques ne sont pas forcément les élus de droite A La Courneuve, les socialistes, qui s’apprêtent à présenter une liste au premier tour des élections municipales de mars prochain contre le maire sortant, brisant ainsi l’historique union de la gauche dans ce bastion rouge, s’en donnent à coeur joie.

Ici, dans l’ancien fief de Waldeck Rochet, l’ambiance guerre froide a remplacé l’esprit de Noël. Socialistes et communistes ne cherchent même plus à sauver les apparences. Lors des dernières réunions publiques, Gilles Poux et son adjoint, Stéphane Troussel, conseiller général et tête de liste socialiste, ont ostensiblement évité de s’adresser la parole. « Ils devraient faire attention, prophétise un conseiller municipal. Les gens ont horreur de la polémique, surtout quand ils ont des fins de mois difficiles. » La Courneuve n’est pas la seule ville gérée par le PCF à être menacée par les appétits socialistes.

Le PS a en effet entrepris d’effilocher ce qu’il reste de la ceinture rouge en présentant des listes au premier tour dans quatre autres villes de Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, Bagnolet, Pierrefitte, Villetaneuse) et à Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne. La rue de Solferino compte également profiter des cantonales, qui se dérouleront en même temps, pour mettre la main sur l’un des deux derniers conseils généraux dirigés par le PCF, celui de Seine-Saint-Denis.

Leur arme fatale, pensent-ils : le député Claude Bartolone, bras droit de Laurent Fabius et patron des socialistes du département, qui se présente dans le canton de Pantin est. S’il l’emporte, le conseil gênerai du 9-3 virerait du rouge au rose. Le PS et et le PC disposent en effet de 15 conseillers généraux chacun. Or, sur les 20 sièges à renouveler, 11 sont communistes. Les socialistes espèrent en gagner entre trois et cinq, mais un seul suffirait à leur donner la majorité. Et Bartolone serait celui-là. D’où les fanfaronnades de ces élus socialistes qui, en séance, ont demandé à Hervé Bramy, l’actuel président du conseil général, s’il avait « fait son testament ».

Un risque mortel « Le Parti communiste est mort, et ce n’est pas grave », dédramatise Jean-Pierre Brard, l’indéboulonnable édile de Montreuil. Le score catastrophique de Marie-George Buffet à la présidentielle (1,93%) ne lui donne pas tort. Tout comme le résultat des législatives de juin dernier où le PCF a carrément perdu son groupe parlementaire autonome. Autant dire qu’aux municipales de 2008 les communistes jouent gros. En 1989, le PC revendiquait 1 149 maires ; il n’en compte plus que 806. Même les bastions historiques sont frappés : en 2001 , le Parti avait notamment perdu Argenteuil, Dieppe, Drancy, Evreux, La Seyne-sur-Mer, Montluçon, Nîmes, Tarbes pour seulement deux gains significatifs : Arles et Sevran.

Aujourd’hui, les communistes ne dirigent plus que 38 villes de plus de 20 000 habitants, dont 26 en Ile-de-France (13 en Seine-Saint-Denis). Une nouvelle défaite en mars lui porterait un coup fatal. Politiquement et financièrement. Les caisses nationales sont alimentées par les indemnités reversées par les parlementaires. Les 13 000 élus locaux, eux, financent leur fédération. La perte de villes, voire de départements, dans la « ceinture rouge » autour de Paris, pourrait peser très lourd sur certaines fédérations et sur le nombre de permanents. Dans un tel contexte, Marie-George Buffet n’avait pas les cartes en main pour négocier avec la direction du PS. Assise sur un champ de ruines, elle n’a pu défendre la légitimité de son parti face aux ambitions des hiérarques socialistes de la Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone en tête.

Ce dernier se défend, cependant, déjouer les fossoyeurs : « L’érosion du PCF date de vingt-cinq ans, je n’y suis pour rien !Je ne vais quand même pas aller voir les gens pour leur demander de voter communiste ! Dans les villes où nous avons gagné aux élections locales, on doit se présenter, c’est légitime. » Un discours que reprennent en choeur les partisans de primaires à gauche. Dans de nombreuses villes, les résultats électoraux des derniers scrutins, nationaux et municipaux, parlent d’eux-mêmes. A Aubervilliers, par exemple, les voix communistes à la présidentielle ont été quasiment divisées par deux entre 2002 et 2007. Plus parlant : aux législatives de juin dernier, le PS a emporté la circonscription haut la main. Pis : en 2004, la candidate socialiste, Evelyne Yonnet, a raflé le canton est d’ Aubervilliers, celui qui concentre plus de 70% de HLM. 

La démonstration est imparable, et elle vaut également pour La Courneuve, Bagnolet, Pierrefitte, Villetaneuse, ces villes de Seine-Saint-Denis ou le PS a décidé de partir seul à la bataille électorale. Dans plusieurs d’entre elles, des sondages ont été commandés par les socialistes qui, tous, accordent de sérieuses chances de victoire au candidat de leur parti (notamment à Bagnolet, où il aurait près de 10 points d’avance sur le maire sortant PCF). Les maires communistes, eux, croient pouvoir sauver leur fauteuil en jouant de leur propre légitimité locale contre celle du Parti. Sans états d’âme. « Quand on regarde Buffet à la télé, on n’a pas envie d’y aller », admet Stéphane Gatignon qui, depuis 2001, gère Sevran avec succès et se classe parmi ces « réformateurs » qui ont pris leur autonomie vis-à-vis d’un appareil en pleine déliquescence. « Ce n’est pas facile de représenter un parti qui ne représente plus rien. On paie cash la crise du PC. »

Un parti qu’ils attaquent avec d’autant plus de virulence qu’ils sont convaincus d’avoir été « vendus » par Marie-George Buffet La secrétaire nationale serait prête à tout, disent-ils, pour endiguer la vague de réformes qui menace, en interne, l’actuelle direction du Parti. « Ce n’est pas un hasard si l’offensive du Parti socialiste porte sur cinq des huit villes qui composent Plaine Commune, ce territoire emblématique d’un communisme qui a la volontédese rénover, de se moderniser.

Le 93 aurait pu être un laboratoire pour repenser la gauche. Or, Buffet a préféré faire payer les dissidents en ouvrant la porte au PS », observe Stéphane Peu, viré de la direction du PCF en 1990, mais qui est resté le bras droit du communiste Patrick Braouezec. Un accord d’apparatchiks, en somme, passé entre une secrétaire nationale fragilisée et un négociateur socialiste aux dents longues. Car Bruno Le Roux, député PS de Seine-Saint-Denis et secrétaire national chargé des élections, aurait lui aussi tôt » à gagner si Plaine Commune passait du rouge au rose. Battu en 2001 par la droite, l’ancien maire d’Epinay-sur-Seine, proche de François Hollande, envisage, selon ses familiers, de remplacer Patrick Braouezec à la tête de la plus grosse communauté d’agglomérations d’Ile-de-France. « Les barons socialistes veulent élargir leur féodalité avant le congrès de novembre prochain », sourit Jean-Vincent Placé, président des élus verts à la région Ile-de-France.

« On a un bon bilan » Il faut dire que le magot a de quoi exciter les convoitises : Plaine Commune, qui regroupe les villes les plus pauvres de France en termes de revenus par habitant, est un territoire économique en pleine expansion. Arcelor-Mittal, Samsung et l’Afnor ont d’ailleurs quitté la Défense pour la Plaine-Saint-Denis. Des secteurs innovants de la banque, de la santé et des médias s’implantent autour du Stade de France. Luc Besson envisage d’y installer ses studios de cinéma. Une opération de rénovation des grands ensembles, financée par l’Agence nationale de rénovation urbaine, va être lancée dans les cités des alentours « On a un bon bilan. A part la volonté de nous cartonner, les socialistes n’ont pas de propositions alternatives dans ces villes, ou alors à la marge », observe le communiste Stéphane Peu de son poste de maire adjoint à Saint- Denis.

Les socialistes évitent d’ailleurs de se tirer une balle dans le pied en critiquant une action municipale à laquelle ils sont associés depuis parfois plusieurs décennies. Les « jeunes » élus communistes (Didier Paillard à Saint-Denis, Pascal Beaudet à Aubervilliers, Stéphane Gatignon à Sevran ) leur reprochent de caricaturer un mode de gestion qui, selon eux, n’existe plus : « Le communisme municipal, aujourd’hui, ça ne veut plus dire grand-chose, assure Stéphane Gatignon. C’est moins spectaculaire que dans les années 50 où l’on créait des centres de santé pour lutter contre la tuberculose ou des colos pour que les gamins prennent du poids. » « Il n’en reste pas moins que, dans les municipalités communistes, le petit propriétaire est un ennemi de classe tout juste bon à être étranglé de taxes », critique le socialiste Jacques Salvator, tête de liste à Aubervilliers.

A Sevran, économiquement sinistré, Stéphane Gatignon assure faire ce qu’il peut avec ce qu’il a : pas ou peu de taxe professionnelle (les entreprises préfèrent s’installer près de Roissy) , des cités autrefois remplies d’ouvriers devenus aujourd’hui chômeurs ou RMistes. « Notre seule ressource, ce sont Les impôts locaux, qui sont plus élevés ici qu’à Neuilly » assume-t-il. Il n’est pas le seul : pour compenser les pertes liées au transfert de charges de l’Etat au département (notamment le paiement du RMI), Hervé Bramy, le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, a dû augmenter, à deux reprises et très fortement, les impôts. « C’est vrai qu’il y a de fortes inégalités fiscales, que les impôts locaux pressurent la minorité issue des classes moyennes. Mais c’est le prix à payer pour le maintien des crèches, l’accueil des enfants ou la cantine. » Sauf que ce discours passe de moins en moins bien chez des bobos de plus en plus nombreux dans les villes communistes limitrophes de Paris.

Chassés de la capitale par la flambée des prix de l’immobilier, ces ex-Parisiens franchissent le périph et colonisent, petit à petit, certains bastions rouges du 93 comme Montreuil, Bagnolet ou Aubervilliers. « Les gens qui arrivent sont majoritairement des cadres, des fonctionnaires qui peuvent accéder à la propriété. Ils ont deux salaires à la maison, deux et pas dix enfants », constate Jacques Salvator. A Aubervilliers, le revenu mensuel brut imposable par habitant a augmenté de 100 Euros pour la première fois en 2005. « Cette gentryfication met en grande difficulté les bastions communistes, observe Christophe Guilly, géographe et auteur des Nouvelles Fractures sociales en France (1) . Les bobos vont plutôt voter PS ou Verts et sont très politisés. Or, de nombreuses mairies communistes ne tenaient jusqu’à présent que par la dépolitisation de leur commune. » Et grâce à des pratiques vieilles comme le communisme municipal.

En réclamant certaines délégations comme les affaires sociales, les élus communistes disposent, par exemple, des ressources du CCAS (centre communal d’action sociale). « A force déjouer les assistantes sociales, la mairie s’est constitué un électorat captif », déplore Kamel Hamza, candidat de droite à La Courneuve. « Les mecs des cités, on leur file des chèques pour partir en vacances. Les stages et les boulots, c’est pour les « camarades » ou leurs enfants », confirme un ancien du conseil général du Val-de-Marne. A Ivry, le fils d’une conseillère municipale communiste a ainsi décroché un CDI d’éducateur sportif au nez et à la barbe d’un jeune du quartier qui occupait le poste en tant que vacataire depuis des années. « Le clientélisme prospère sur les ruines du réseau militant », soupire un vieux compagnon de route du PCF.

Il est loin le temps où le Parti s’appuyait sur ses « encartés », fervents relais qui montaient dans les étages des tours pour accompagner les habitants jusqu’au bureau de vote ou assister au pot du maire. Aujourd’hui, ce sont les associations sportives, culturelles, de locataires ou de parents d’élèves qui se chargent de relayer la bonne parole municipale. « Contre des subventions, des emplois, des passe-droits. Personne n’a intérêt à ce que ça s’arrête. On fait tout pour maintenir les gens dans la merde », accuse Kamel Hamza, en campagne dans la cité des 4 000. « Dans le quartier, les 5 et 6 du mois, toute la cité fait la queue à La Poste pour toucher le RMI. Rebelote le 10, où tombent les virements Assedic. Plus les immeubles sont dégradés, plus les quartiers se paupérisent, et plus les communistes se sentent forts !

Ils ne voient pas que les gens en ont assez », poursuit le candidat de droite, arrivé deuxième derrière le socialiste Daniel Goldberg lors des dernières législatives. « Les socialistes vont prendre des villes, mais ça laissera des traces, confirme un responsable communiste. Ils hypothèquent l’avenir, avec leurs accords d’appareil. » Car c’est dans ce département, où sont implantées la députée communiste Marie-George Buffet (conseillère municipale du Blanc-Mesnil) et la sénatrice verte Dominique Voynet (candidate à Montreuil), que pourrait se jouer l’avenir national de l’union de la gauche. Le fabiusien Claude Bartolone a plus que jamais en tête l’idée de créer un « grand parti de gauche », avec des communistes, mais sans le Parti communiste. Il multiplie les déjeuners avec de potentiels et charismatiques « transfuges » du PCF. Une sorte de congrès de Tours à l’envers, en somme.

S.M. (1) Editions Autrement.

http://www.marianne2.fr


Source:Bellaciao.org

Publié dans Du côté du PCF

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